16 Février 2022
Par Matthew Ehret
Traduction MCT
Ceci est la deuxième partie d'une série de deux articles publiés dans une édition de 2013 de la Canadian Patriot Review aux côtés du journaliste français Benoit Chalifoux.
La liste des structures et institutions qui suit montre clairement que certains, dans les milieux officiels, avaient anticipé la crise d'octobre 1970, crise qui avait été concoctée pour aboutir à la Loi sur les mesures de guerre et à une consolidation du pouvoir entre les mains de la " nouvelle élite technocratique " qui avait pris le contrôle de la Révolution tranquille après la mort du premier ministre québécois Daniel Johnson en 1968 et l'éviction de Jean Lesage et de Charles de Gaulle du pouvoir politique en 1969.
Le but du présent rapport, qui s'appuie largement sur les récits de Pierre Vallières, tirés de son livre L'exécution de Pierre Laporte, les dessous de l'opération Essai (Editions Québec-Amériques, 1977), n'est pas d'établir la cause de la Crise d'octobre, mais de démontrer suffisamment que le récit officiel couramment utilisé pour expliquer cette période est faux. Non seulement cela, mais comme les faits le montreront, la cause de ces terribles événements a été organisée par des institutions plus puissantes à l'intérieur et au-dessus du gouvernement canadien.
Il est également nécessaire de garder à l'esprit que non seulement aucune autopsie n'a jamais été pratiquée sur le corps du premier ministre Daniel Johnson Sr. lors de sa mort mystérieuse en 1968 (que le président de Gaulle a sans aucun doute compris dans ses moindres détails avant de subir sa propre révolution de couleur en 1969), mais que le corps de l'allié de Johnson, Pierre Laporte, n'a pas non plus été autopsié après son assassinat pendant la Crise d'octobre, que nous documentons ci-dessous.
Au niveau fédéral (Ottawa)
Au Québec
Opération Essai, dérivée d'un premier plan, élaboré en 1960, par la Section de la planification et des opérations du Commandement du Québec. Cette même année 1960, Jean Lesage devient chef du gouvernement du Québec et lance la "Révolution tranquille", un processus à caractère bipolaire. Ce processus est devenu un champ de bataille clé entre deux forces opposées. La première visait à installer une élite technocratique au Québec tout en sécularisant la province en vue d'une nouvelle culture malthusienne qui pourrait être reconstruite selon la volonté de l'oligarchie. La force opposée était représentée par les forces d'édification nationale, en grande partie catholiques, alors centrées sur Lesage et Daniel Johnson, qui souhaitaient diriger l'énergie révolutionnaire qui embrassait alors le Québec autour d'une stratégie anti-impériale de républicanisme et de progrès technologique.
Chronologie de la crise d'octobre 1970
La chronologie ci-dessous remet en cause la thèse officielle, et met en évidence de nombreuses contradictions.
Selon Pierre Vallières, " à la fin de l'été 1970, tout était en place, et la liaison entre l'armée et les forces de police concernées était devenue hebdomadaire, parfois quotidienne ". Il ajoute que " en juin, le contenu du manifeste d'octobre avait déjà été publié dans certains journaux, à la suite du complot avorté de Lanctôt-Marcil contre le consulat américain ; les revendications du FLQ étaient connues et, enfin, les bases opérationnelles du FLQ (à l'exception de l'appartement loué en septembre dans le nord de Montréal par Cossette-Trudel) avaient été démantelées ou étaient connues de la police. Le FLQ-1970 était sous contrôle en octobre, et aucune surprise n'était possible ".
James Cross est enlevé
Enlèvement de Pierre Laporte : la crise s'intensifie.
Vallière rapporte que " les six témoins oculaires de l'enlèvement de Pierre Laporte (son neveu, sa femme et leurs voisins) sont unanimes : les ravisseurs étaient "propres" et bien habillés, ce que le sergent Desjardins a confirmé aux journalistes le soir même (...) Un autre témoin, qui travaillait dans une station-service du boulevard Taschereau, a déclaré que peu avant l'enlèvement du ministre, des inconnus lui avaient demandé comment se rendre rue Robitaille. J'ai cru que c'était des policiers, dit-il, parce que l'un d'eux portait quelque chose qui ressemblait à un talkie-walkie".
Dans les heures qui ont suivi la mort de Pierre Laporte, les autorités ont diffusé le signalement de Paul Rose et de Marc Carbonneau, mais pas celui de Jacques Rose, Francis Simard ou Bernard Lortie. Paul Rose, Jacques Rose et Francis Simard (présumés membres avec Bernard Lortie de la cellule Chénier, tandis que Marc Carbonneau et Jacques Lanctôt faisaient partie de la cellule Libération détenant James Cross) étaient fichés et suivis par la police depuis 1968 au plus tard. Les trois hommes se trouvaient au Texas (ou peut-être au Mexique) depuis septembre 1970, et étaient revenus au Québec après l'enlèvement de James Cross. Les nombreux déplacements des membres de la cellule Chénier pendant la détention de Pierre Laporte (et l'incarcération temporaire de Jacques Rose et Francis Simard entre le 15 et le 17 octobre) permettent de supposer que ce ne pouvait être que quelqu'un de tout à fait différent qui surveillait le ministre, et que le rôle réel joué par la cellule dans l'enlèvement et le meurtre de celui-ci était secondaire, peut-être même fictif.
À ce moment précis, James Cross est libéré, et ses ravisseurs de la cellule de Libération bénéficient d'un sauf-conduit vers Cuba.
Si l'on s'en tient aux termes explicites de la loi sur les mesures de guerre, le pays tout entier était sur le point de sombrer dans le meurtre et le chaos. La vérité est plutôt différente : le FLQ était une organisation minuscule, composée de deux cellules et d'une dizaine de membres au total ! Mais nous lisons, à l'article 2 de la Loi sur les mesures de guerre :
" PREUVE DE GUERRE
L'émission d'une proclamation par Sa Majesté, ou sous l'autorité du gouverneur en conseil, sera une preuve concluante que la guerre, l'invasion ou l'insurrection, réelle ou appréhendée, existe et a existé pour toute période de temps indiquée, et de sa continuation, jusqu'à ce que par l'émission d'une autre proclamation il soit déclaré que la guerre, l'invasion ou l'insurrection n'existe plus".
Jusqu'en 1970, la Loi sur les mesures de guerre, promulguée pour la première fois en 1914, n'avait été proclamée que deux fois auparavant : lorsque le Canada est entré dans la Première Guerre mondiale, en 1914, et dans la Deuxième Guerre mondiale, en 1939. Ici, nous devons considérer l'opinion personnelle du gouverneur général comme une "preuve concluante" d'un état de guerre qui n'existait absolument pas.
Que pensait la victime elle-même de tout cela ? Tout ce que l'on sait avec certitude, c'est que dans aucune des lettres qu'il a adressées à Robert Bourassa lors de son enlèvement, Pierre Laporte n'a jamais fait référence au FLQ, et que ni sa femme, ni la plupart de ses amis n'ont jamais cru à la version officielle. Un rapport de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) daté du 3 mars 1971 indique que Mme Laporte était d'avis que les autorités avaient exécuté son mari.
Il existe une similitude effrayante entre l'enlèvement et le meurtre de Laporte et celui de l'ancien Premier ministre Aldo Moro en 1978, jusqu'au détail de la police qui tourne en rond dans les environs de la planque. Dans les deux cas, la suite des événements montre que l'intention réelle n'a jamais été de libérer la victime de l'enlèvement, mais d'utiliser la crise pour déplacer le rapport de force dans le pays, en faveur des intérêts de la finance rentière.
L'aisance matérielle des terroristes
Il est assez étonnant qu'un si grand nombre d'acteurs de cette époque se soient élevés à des positions d'aisance matérielle et de proéminence sociale. Précisément au moment où la synarchie a lancé une nouvelle vague de stratégie de tension en Europe et en Amérique, elle semble vouloir garder la main sur les principaux acteurs des événements d'octobre 1970, afin d'éviter qu'ils ne révèlent ce qui s'est réellement passé.
L'ex-FLQ Jacques Lanctôt possède aujourd'hui sa propre maison d'édition, avec un important fonds de commerce sur les questions culturelles, sociologiques et psychologiques, et des essais sur le mouvement séparatiste. Le 28 mars 2004, Télé-Québec a diffusé un documentaire intitulé Otage, composé d'entretiens avec Jacques Lanctôt, qui a kidnappé James Cross, et avec la famille Cross. Le documentaire a été terminé au début de 2004. Lanctôt est maintenant un journaliste de premier plan chez Canoë Inc. qui appartient à Quebecor (dont le vice-président n'est autre que Brian Mulroney).
De 1996 à 2002, Paul Rose a connu un succès si miraculeux qu'il est devenu le chef de l'aile québécoise du Nouveau parti démocratique du Québec ! Ce Parti a fusionné avec l'Union des Forces Progressistes qui a elle-même fusionné avec deux autres organisations pour devenir Québec Solidaire qui détient actuellement 7,6% des sièges à l'Assemblée nationale du Québec. Le 14 mars 2013, le député Amir Khadir, porte-parole de Québec Solidaire, a présenté une résolution à l'Assemblée nationale pour honorer Paul Rose.
Les " dossiers Trudeau " du SCRS effacés en 1989
Le 15 juin 2019, le fait étrange a été rendu public par le National Post du Canada : l'intégralité du dossier du SCRS/GRC compilé pendant 40 ans sur le plus célèbre premier ministre du Canada, Pierre Elliot Trudeau, a été détruit par la plus grande agence d'espionnage du Canada... en 1989.
Comment ce fait embarrassant a pu passer inaperçu pendant si longtemps est lié aux lois sur l'accès à l'information au Canada qui rendent tous les dossiers gouvernementaux disponibles sur tout citoyen public ou privé 20 ans après leur mort. En 2019, des historiens en quête d'une histoire ont déposé des demandes anticipées pour lire ce dossier tant attendu qui était censé attendre des yeux scrutateurs aux Archives du Canada. La réponse qu'ils ont reçue du SCRS et des Archives nationales est que cet énorme trésor de documentation a été détruit parce qu'il ne répondait pas "au seuil fixé par la Loi sur le SCRS pour justifier son maintien dans l'inventaire actif du service". Le dossier ne répondait pas non plus aux critères de conservation établis par les archives nationales".
Sur la base des faits exposés dans le texte ci-dessus et dans le rapport précédent, on peut affirmer sans risque de se tromper que la véritable raison de la destruction des dossiers Trudeau par le SCRS avait tout à voir avec des informations dévastatrices sur le rôle joué par le troisième premier ministre le plus ancien du Canada dans le contexte du "Grand Jeu" géopolitique de la Grande-Bretagne contre le monde.
Le rôle que joue son fils en tant que pion dans ce Grand Jeu, en poursuivant l'héritage dictatorial commencé par son père il y a 50 ans, ne peut être compris que de ce point de vue.
Matthew Ehret est le rédacteur en chef de la Canadian Patriot Review et Senior Fellow à l'American University de Moscou. Il est l'auteur de la série de livres " Untold History of Canada " et de Clash of the Two Americas. En 2019, il a cofondé la Rising Tide Foundation, basée à Montréal.